Pour ou contre un congé paternité inscrit dans la loi fédérale?

Débat en ligne – Travail.Suisse réclame d’octroyer vingt jours d’absence payés aux nouveaux pères. Trois personnalités donnent leur avis sur la question.

Nous reproduisons ici un article du 24 heures rédigé par Irène Languin et publié le 28 mai 2015
Le quotidien propose également un dossier complet avec de nombreuses infographies sur : paternite.24heures.ch

En Suisse, l’usage veut qu’un jeune père se voie accorder un minimum d’un jour de congé à l’occasion de la naissance de ses enfants, soit autant que pour un déménagement. Dans le secteur privé, un patron sur deux applique ce quota, selon une étude récemment éditée par Travail.Suisse.

Or d’après l’organisation faîtière des travailleurs, cette pratique n’est plus en accord avec son temps. Afin de mettre tous les nouveaux papas sur un pied d’égalité, l’organisation syndicale réclame un «congé paternité digne de ce nom», réitérant sa revendication historique d’un congé paternité légal payé de vingt jours ouvrables, à prendre de manière flexible.

Coup de pouce législatif

Pour ce faire, elle demande un «coup de pouce législatif», proposant une solution qui passe par les allocations pour perte de gain (APG), donc financée de manière solidaire par les patrons et les travailleurs. Travail.Suisse juge ce régime de financement «abordable», les perspectives financières des APG étant bonnes (170 millions de francs d’excédents en 2014, et 550 millions à l’horizon 2035 selon les prédictions du Conseil fédéral).

D’autres voix se sont récemment élevées pour l’introduction d’un congé paternité au niveau fédéral. Une nouvelle étape a été franchie à la fin avril sous la Coupole. Après dix ans d’échecs sur le sujet, à travers le rejet de 25 interventions parlementaires, un texte a passé la rampe de la commission de la sécurité sociale et de la santé publique du National. Le projet, porté par le PDC Martin Candinas (GR), demande un congé paternité légal de dix jours financé par le biais des APG.

Mais ce dessein se heurte encore à l’hostilité d’une partie des milieux économiques, qui rejettent le principe d’un congé paternité imposé par l’Etat comme son mode de financement. Ils craignent une augmentation des charges sociales et des coûts engendrés par les absences des employés concernés et arguent qu’actuellement, les entreprises, déjà très sollicitées, ne peuvent pas se permettre un tel luxe.

Trois personnalités se prononcent sur la question:

Valérie Borioli Sandoz, responsable de la politique de l’égalité à Travail.Suisse:

Aujourd’hui, seulement une grande entreprise peut se permettre de financer seule un congé paternité de plusieurs jours. C’est injuste par rapport aux PME, majoritaires dans le tissu économique de notre pays. Le droit de pouvoir accueillir correctement son nouveau-né ne doit pas dépendre de son employeur. De même que ce droit fondamental ne doit pas dépendre du succès des négociations d’une convention collective de travail (CCT). Un homme qui souhaite tisser un lien personnel avec son bébé dès sa naissance et assumer ses responsabilités envers sa famille doit pouvoir le faire où qu’il travaille.

Seul un ancrage dans la loi garantit une égalité de traitement. La Loi sur les allocations pour perte de gain (APG) répartit le financement entre tous les employeurs et les employés sous la forme de cotisations paritaires: ce système fonctionne, son avenir financier est très bon et il y a assez d’argent pour financer un congé paternité de vingt jours sans modifier les cotisations actuelles. Les hommes sont moins souvent absents (cours de répétition) et en neuf mois, toute entreprise est en mesure de planifier une absence de quelques jours.

Hugues Hiltpold, conseiller national (PLR):

Il est souhaitable que les nouveaux pères puissent s’impliquer davantage à la naissance de leurs enfants. Pour l’heure, ils n’en ont pas la possibilité, à moins d’avoir un employeur généreux en la matière.

Au niveau politique toutefois, il me paraît plus aisé de faire passer l’idée d’une logique de couple plutôt que d’attribuer au père seul un congé. En 2009, j’avais donc proposé d’instaurer non pas un congé paternité mais un congé parental légal d’une durée de deux semaines, venant compléter le régime des quatorze semaines du congé maternité et réparti entre le père et la mère selon leur convenance.

Quant à la question de la durée, je suis partisan de la politique des petits pas. Vingt jours me semblent un peu gourmands. La moitié est raisonnable; plus, ce serait du confort.

Enfin, il est essentiel que cette mesure ne se fasse pas sur le dos des entreprises, d’autant qu’elles sont très sollicitées en ce moment. Ces dernières doivent être des partenaires, pas des vaches à lait. La solution de financement par le biais des allocations pour perte de gain (APG) n’est donc pas viable. Un meilleur moyen serait le versement d’une allocation naissance, soit une prestation étatique.

Stéphanie Ruegsegger, directrice Politique générale à la Fédération des entreprises romandes (FER):

Travail.Suisse a publié les résultats d’une étude portant sur le traitement du congé paternité dans 46 conventions collectives de travail (CCT). Plus de la moitié d’entre elles n’octroyant que le minimum légal en matière de congé paternité, le syndicat en conclut – hâtivement – qu’il faut imposer un congé plus long.

Travail.Suisse oublie des éléments importants. Les CCT analysées ne couvrent qu’une minorité de travailleurs; en tirer des conclusions applicables à tout le monde est donc hasardeux. Les CCT édictent en outre des réglementations minimales et les entreprises restent libres d’être plus généreuses, ce dont elles ne se privent pas. Le succès de l’économie suisse repose notamment sur le dialogue entre partenaires sociaux, qui trouvent des solutions adaptées en fonction des besoins des branches et des régions. La proposition de Travail.Suisse ignore ces réalités.

Elle élude surtout la vraie priorité qu’est la conciliation entre vies familiale et professionnelle. En imposant un congé paternité, le syndicat n’apporte aucune solution à la garde des enfants, qui constitue la vraie préoccupation des parents. Pire, il réduit les chances d’en trouver, en affectant des moyens importants à une mesure qui n’est pas prioritaire. (24 heures)

(Créé: 28.05.2015)

Photo par marcinjozwiak sur pixabay.com