Congé parental : les multinationales aident à briser les stéréotypes

Nous reproduisons ici un article paru dans 24 Heures du 8 août 2024, signé par Christian Zürcher et Jacqueline Büchi.

Bien sûr, il y a eu des remarques. Tu pars en vacances? Tu vas prendre des cours de langue? Avec tout ce temps. On aurait aussi pu demander à Diederik Eijsvogel s’il redoutait de prendre seize semaines de congé paternité. C’était le cas. «J’avais un peu peur que cette longue absence ne nuise à ma carrière.»

Il travaille à Baar (ZG) dans une fonction de direction chez AstraZeneca. À 39 ans, il dirige 27 collaborateurs et sa deuxième fille est née il y a un an. Il avait donc droit à seize semaines de congé parental. AstraZeneca l’a introduit en Suisse il y a un an. Qu’il s’agisse de pères, de mères ou de parents adoptifs, ils ont droit à quatre mois d’absence pendant la première année qui suit la naissance.

Il a été le premier homme de la direction à prendre ce congé. Avec le recul, il se dit que son expérience a été fantastique. «J’étais plus impliqué dans la vie de famille. Et je sais ce que cela signifie de s’occuper des enfants à la maison.» En bref, beaucoup de travail. «Il est définitivement hors de question de penser à des cours de langue.»

Il a pris ses seize semaines lorsque le congé maternité de sa femme s’est terminé. «Cela a aidé mon épouse à remettre le pied à l’étrier, et cela a même probablement accéléré sa reprise.» Il s’est occupé des deux enfants, notamment aussi de l’adaptation en crèche. «J’étais le seul homme», souligne-t-il.

Il y a de plus en plus d’entreprises, comme AstraZeneca, qui accordent volontairement à leurs collaborateurs des congés parentaux généreux. La plupart d’entre elles sont des groupes internationaux. Volvo par exemple, mais aussi Microsoft, Google ou Ikea. Ils importent une culture qui va de soi ailleurs. En effet, tous les pays de l’UE, contrairement à la Suisse, proposent un congé parental. Dans notre pays, les pères ont droit à deux semaines de congé après la naissance de leur enfant, et encore, seulement depuis 2021.

McKinsey demande à la Suisse de repenser la garde des enfants

La dureté de l’affrontement entre ces deux mondes est apparue clairement lors d’un récent débat public à Zurich, organisé par McKinsey. La plus grande entreprise de conseil au monde est habituellement connue pour sa volonté d’améliorer l’efficacité des sociétés. Elle veut désormais améliorer l’image de la famille en Suisse. En collaboration avec la principale association économique pour l’égalité en Suisse, Advance, elle a présenté fin juin un document de discussion de travail intitulé «Il faut tout un village – pour élever un enfant», en référence à un proverbe africain.

«Repenser la garde des enfants», tel est l’objectif. La Suisse doit s’éloigner du «rôle traditionnel de la mère», et viser à la place une «coparentalité» et des «concepts de prise en charge modernes».

La table ronde, organisée au siège zurichois huppé de la société de conseil, se déroule en anglais. Une participante raconte comment elle est arrivée en Suisse avec son mari depuis les États-Unis pendant la pandémie et a été stupéfaite par la difficulté de trouver une crèche. La famille a finalement fait venir son ancienne nounou des USA et loué pour elle temporairement un appartement Airbnb dans les environs. Problème résolu, mais coût élevé.

Le ton monte entre expatriés

Dans le public, il n’y a presque que des femmes. Elles hochent la tête en signe d’approbation. Lorsque la séance de questions-réponses commence, les premières mains se lèvent. L’une après l’autre, elles se lèvent et partagent leur histoire. Elles sont assurées d’être applaudies avec euphorie.

  • Une Américaine déclare que le compte rendu parvient à canaliser toute la frustration qu’elle ressent depuis longtemps dans son pays en raison de la thématique de la conciliation. Applaudissements!
  • Une Norvégienne s’agace du fait que tout le monde ne parle que des femmes et personne des hommes. Pourquoi en Scandinavie, les pères peuvent-ils rester à la maison sans problème lorsqu’un enfant est malade, mais pas en Suisse? Applaudissements!
  • Une Française au dernier rang a amené son mari et le présente à l’assemblée. Elle dit que sa carrière ne serait pas possible sans un homme comme lui. Il baisse les yeux, embarrassé. Les femmes autour de lui deviennent hystériques. Applaudissements!

L’incompréhension des personnes présentes face au manque de conciliation entre vie familiale et professionnelle en Suisse est grande. Que dans de nombreuses communes, même la prise en charge des enfants scolarisés à midi ne soit pas organisée relève de l’absurde. Qu’une population qui peut participer à la démocratie directe ne s’oppose pas à cette situation reste une énigme.

Dans leur document consultatif, McKinsey et Advance appellent à un changement de mentalité. Il faut des offres de garde d’enfants meilleures et plus abordables. Il faut également changer la manière dont nous parlons de la garde des enfants par des tiers en Suisse.

Concilier travail et vie de famille renforce l’économie

Anna Mattsson est associée chez McKinsey et présidente d’Advance. Elle raconte que ce n’est que récemment qu’elle a remarqué que le mot allemand «Rabenmutter» ou «mauvaise mère» n’avait pas de traduction anglaise. «C’est symptomatique de la manière dont nous parlons des mères qui travaillent dans les pays germanophones.»

Pour elle, ce n’est pas un hasard si ce sont souvent des firmes internationales qui accordent des congés parentaux généreux à leurs collaborateurs en Suisse. «Ces entreprises sont tributaires de la possibilité d’acquérir et de conserver les meilleurs talents.» Les personnes bien formées originaires des pays nordiques ou anglophones n’envisagent souvent de s’engager que si la conciliation entre vie familiale et professionnelle est garantie.

Pour ces employeurs, il n’est pas question d’attendre que la politique se décide à trouver une solution. «Je compte bien qu’à moyen terme, les petites entreprises du pays suivront. Car il est clair que lorsque les parents bénéficient de bonnes conditions-cadres, l’économie prospère.»

Elle fait référence à une étude de l’Université de Saint-Gall en collaboration avec Advance, selon laquelle 230’000 postes supplémentaires à temps plein pourraient être occupés en Suisse s’il y avait suffisamment de places de garde d’enfants abordables.

Pour elle, le fait que les grands groupes basés en Suisse proposent souvent des solutions généreuses aux jeunes parents montre que les questions culturelles ne sont pas les seules à être déterminantes. Le groupe pharmaceutique bâlois Novartis, par exemple, accorde aux hommes et aux femmes dix-huit semaines de congé parental rémunéré.

Plus de congé paternité? L’Union suisse des arts et métiers fait marche arrière

Le directeur de l’Union suisse des arts et métiers (USAM), qui représente plus de 600’000 PME, se montre plus critique. «Nous nous opposons à une nouvelle extension du congé paternité légal», déclare Urs Furrer. Selon lui, un congé parental plus long doit rester facultatif. Et ce pour deux raisons.

  1. Du point de vue du personnel, une affaire de plâtrerie de cinq personnes ne peut pas compenser l’absence d’un salarié pendant plusieurs mois de la même manière qu’une entreprise de 300 employés.
  2. Le coût d’un congé parental plus long ne peut être assuré, affirme le responsable. Il exclut catégoriquement un financement par pourcentage salarial, estimant que le recours à l’argent des contribuables est une mauvaise idée. «Surtout pas dans la situation budgétaire tendue dans laquelle se trouve la Confédération.»

Interrogé sur les exemples de congé parental à l’étranger, il répond que «chaque pays a le droit de faire ce qu’il veut. En Suisse, nous nous en sommes bien sortis avec la recette à succès du droit du travail libéral et du frein à l’endettement.»

Les entreprises aident à briser les stéréotypes

Katrin Lipp a introduit le congé parental de quatre mois chez AstraZeneca. La cheffe du personnel a qualifié cette décision d’«évidente», tous les membres des organes de décision l’ont soutenue. Elle raconte comment, en Suisse, les changements sociaux se font plutôt lentement. Au lieu d’attendre que quelque chose se passe, il faut être actif soi-même.

Âgée de 36 ans, elle livre son expérience. À la naissance de sa fille en 2015, elle a été confrontée désagréablement aux normes sociales. Lorsqu’elle a dit à son entourage qu’elle souhaitait continuer à faire carrière, cela a été moyennement bien accueilli. Il y a eu des commentaires, elle a ressenti des regards que seules les mères qui travaillent peuvent ressentir, et elle a entendu des choses comme: «Si tu veux être maman, tu dois rester à la maison».

La cheffe des ressources humaines veut lentement déconstruire ces stéréotypes sexués au sein de son entreprise. Diederik Eijsvogel a montré comment cela était possible. Sa crainte que le congé parental de quatre mois chez AstraZeneca puisse nuire à sa carrière était infondée. Aucune sanction informelle, au contraire, d’autres ont pris plus de responsabilités et ont pu montrer ce dont ils étaient capables.

«Le congé parental m’a rendu plus serein», avoue-t-il. Il lui a montré les avantages d’un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée, et lui a fait sentir qu’il n’était pas aussi important qu’il le pensait. On pouvait très bien se passer de lui. Son service avait survécu à son absence.

Ainsi, il est peut-être symptomatique, pour ce petit pays aux changements sociaux lents, que le plus difficile, pour Diederik Eijsvogel et les autres, soit de prendre la décision d’un congé parental.

Photo de Juliane Liebermann sur Unsplash