En Suisse, si vous voulez mettre votre enfant à plein temps dans une crèche, il vous en coûtera en moyenne deux tiers de votre salaire. Un record mondial. Les aides financières directes et les réductions d’impôts permettent certes de réduire un peu la facture finale. Reste que la faible implication de l’Etat a des conséquences concrètes sur la structure du marché du travail helvétique.
(Nous reproduisons ici un article de SwissInfo publié le 20 février 2015)
La Suisse a conservé en 2014 son premier rang de destination la plus appréciée des travailleurs expatriés à col blanc. Quelques gros points noirs ont toutefois été soulevés par les nouveaux arrivants dans l’étude menée par la banque HSBC. En tête des désagréments et soucis du quotidien: le prix élevé des crèches.
Ce sentiment est confirmé par les études internationales. Avec une facture qui s’élève à deux tiers du salaire moyen pour une place de crèche à plein temps, la Suisse se hisse largement en tête des pays de l’OCDE en matière de coûts dévolus à l’accueil extra-familial.
Tous les pays accordent cependant des aides financières directes et/ou fiscales aux familles. En soustrayant ces différents avantages financiers aux tarifs bruts des crèches, on constate que les coûts nets ne représentent «plus que» 30% du revenu moyen helvétique. Mais même dans ce cas de figure, la Suisse se place toujours dans le peloton de tête, devancée uniquement par les pays anglo-saxons.
Les collectivités publiques subventionnent un nombre restreint de places de crèches, privilégiant les familles monoparentales ou celles qui ont peu de moyens financiers. Près de 90% des crèches du pays sont privées et financées par les parents.
Au total, la Suisse consacre moins de 0,1% de son Produit intérieur brut (PIB) au financement de structures d’accueil extrafamilial, moins que la plupart des pays européens. A titre de comparaison, 0,8 % du PIB national est consacré à l’armée.
Dépenses publiques pour les crèches
En Suisse, un Etat fédéral, les structures d’accueil extrafamilial dépendent largement des cantons et des communes. Le financement, le prix et le nombre de places à disposition varie fortement selon les régions. Grâce toutefois à l’aide de la Confédération, plus de 23’000 places de crèche ont pu être créées entre 2003 et 2013. Il n’en demeure pas moins que trois quarts des communes ne proposent aucune place de crèche et que 75% des enfants de moins de 3 ans n’y ont toujours pas accès.
La Suisse romande et les cantons urbains de Suisse alémanique – Zurich, Zoug et Bâle – offrent le plus grand nombre de places. Dans les régions rurales et orientales du pays, c’est une vision plutôt conservatrice de la famille qui prédomine. On estime généralement que les années précédant l’entrée à l’école enfantine relèvent de la sphère privée et que l’Etat ne devrait pas s’impliquer dans cette tâche.
En comparaison européenne, la Suisse compte ainsi l’une des plus faibles proportions d’enfants de moins de 3 ans placés la majorité du temps dans une crèche.
Cela se traduit directement sur la structure du marché du travail. Rares sont en effet les parents avec un ou deux enfants en bas âge qui travaillent tous les deux à plein temps. Ainsi, plus la proportion de jeunes enfants placés en crèche est faible, plus la proportion de parents travaillant tous deux à plein temps l’est également.
Recours aux crèches et l’emploi des parents sont liés
Selon une étude du distributeur Migros, le prix élevé et le manque de places de crèches poussent souvent les parents à chercher des modes de garde alternatifs. Près de 80% des grands-parents sont ainsi sollicités plus ou moins régulièrement pour s’occuper de leurs petits-enfants. L’appel aux mamans de jour et les arrangements entre voisins sont également monnaie courante.
Dans la très grande majorité des cas, ce sont les femmes qui réduisent leur temps de travail à l’arrivée d’un enfant: seuls 10% des hommes actifs occupés travaillent à temps partiel en Suisse, contre 46% des femmes.
Travail à temps partiel, le fossé hommes-femmes
Une situation qui pénalise la carrière professionnelle des femmes et qui contribue à accroître les inégalités salariales entre sexes, qui se montent à près de 20% en Suisse. La création de structures d’accueil pour les enfants à un prix abordable figure parmi les mesures qui sont régulièrement proposées par les syndicats et les partis de gauche pour réduire cet écart.
Une meilleure intégration des femmes dans le marché du travail permettrait également de devoir moins faire appel à de la main-d’œuvre étrangère. C’est d’ailleurs l’une des mesures présentées par le gouvernement suisse dans son projet de mise en œuvre de l’initiative «contre l’immigration de masse» adoptée il y a une année par le peuple. Un débat qui est loin d’être clos et qui promet encore de belles empoignades politiques.
Pour consulter les éclairants graphiques de Duc-Quang Nguyen qui accompagne cet article :
http://www.swissinfo.ch/fre/les-cr%C3%A8ches-les-plus-ch%C3%A8res-au-monde/41231548
Crédit photo : Photo de Gautam Arora sur Unsplash